Les transformations technologiques

En exergue.

En 2020, les millenials sont désormais des adultes, quand ils ne sont pas parents eux-mêmes. Mais la voie qu’ils ont ouverte est empruntée par toutes les générations qui les ont suivis. Ces « jeunes », nés dans un monde connecté, ont la réputation d’avoir développé un rapport intuitif avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux, modifiant par là même leur rapport au temps et à l’espace. Les services qu’ils plébiscitent s’appellent Airbnb, Spotify, Netflix : « l’accès » est désormais préféré à la “propriété”. Autodidactes et soucieux de donner un « sens » à ce qu’ils entreprennent, ces jeunes adultes sont aussi réputés difficiles à recruter et à fidéliser en entreprise. Ils sont de manière générale plus exigeants à l’égard d’un monde du travail dont ils bousculent les codes. Ces générations sont également plus mobiles que les générations précédentes. Avec elles, émergent des services qui favorisent la flexibilité. Elles ne s’installent plus quelque part pour la vie, mais privilégient les opportunités, travaillent en nomades et pratiquent la bi-résidence. En modifiant les attentes en termes de logement, ces nouveaux acteurs économiques orientent les évolutions de la ville et ses services.

Définitions et mesures
Les générations Y et Z sont des adultes

Les générations dites Z et Y désignent des individus nés entre le début des années 1980 et la fin des années 1990. Le terme de « génération Y » apparaît pour la première fois en 1993 dans un éditorial du magazine américain Advertising Age, spécialisé dans la publicité (*Advertising Age*, 1993). À défaut de proposer une analyse sociologique de cette tranche d’âge, l’article réalise un portrait robot d’un jeune consommateur éthique, engagé mais sensible aux messages publicitaires.

Le terme a acquis sa notoriété par la suite, imposant l’idée qu’un fossé générationnel - voire un conflit de générations - existerait entre ces jeunes adultes et les générations précédentes. Ces jeunes adultes ne devraient pas penser comme leurs aînés (rupture cognitive), ni voir le monde de la même façon (rupture des valeurs).

Ainsi, pour 85% des Français, « les valeurs de la jeune génération n’ont rien à voir avec celles des générations précédentes » (Observatoire France de Sociovision, 2016).

Ces générations seraient notamment plus exigeantes en matière d’emploi et favoriseraient l’émergence de nouveaux comportements de consommation (*Harvard Business Review*, 2017).

A Survey of 19 Countries Shows How Generations X, Y, and Z Are - and Aren't - Different

La plupart des articles et études qui les mentionnent insistent sur le fait qu’elles étaient surtout suffisamment jeunes lors de l’introduction massive de l’informatique grand public pour en avoir acquis une maîtrise intuitive dépassant généralement celle de leurs parents.

Depuis leur plus jeune âge, ces adolescents et jeunes adultes baignent dans une culture web et ont construit leur vie sociale et affective autour de ces nouvelles technologies du numériques et réseaux sociaux. Ils sont devenues les actrices privilégiées de la transition numérique de nos sociétés et de nos économies. Une transition qui s’articule autour de deux phénomènes majeurs :

l’émergence dans les années 90 du web 2.0, permettant à chacun d’accéder à des outils de création et de communication,

l’apparition du smartphone dans les années 2008-2009, permettant un accès, permanent et partout, à un ensemble de services et d’informations.

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Ces « digital natives », souvent membres de la générations des « millenials » sont décrits par le philosophe Michel Serres comme la génération mutante de « Petite Poucette » (Michel Serre, Petite poucette, Paris, Le Pommier, 2012) et sont généralement associés à trois dimensions : une culture basée sur l’affirmation de soi, une expression politique singulière (liée notamment à des mobilisations virales sur les réseaux sociaux, comme les mouvements #MeToo ou Black Lives Matter) et, enfin, des modes de consommation culturelle favorisant la gratuité (ou un coût faible) et l’abondance.

Pews Research Center

Pews Research Center

Source : Pew Research Center

Ces nouvelles générations sont également associées à des changements de pratiques :

Elles accordent plus d’importance à leurs pairs qu’à leurs pères. Dans son enquête qualitative, « Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité » parue en 2005, Dominique Pasquier montre à quel point la culture du groupe des pairs prend une importance grandissante pour ces jeunes générations, contribuant à resserrer le sentiment d’identité collective sur les cercles les plus proches, notamment par le biais des réseaux sociaux. La famille joue néanmoins une part importante dans la construction de l’identité : lorsqu’on les interroge à propos des personnes qui les inspirent, ces jeunes citent plus fréquemment leur entourage familial que des personnalités historiques (Ifop, 2017).

Elles communiquent et échangent différemment. Les nouveaux moyens de communication amplifient la sociabilité de classe d’âge en abolissant les frontières de lieu et de temps. Selon Sylvie Octobre, dans Les techno-cultures juvéniles : du culturel au politique (2018), « L’être ensemble » devient plus important que le « faire ensemble » : la musique ou le cinéma deviennent par exemple un prétexte à échanges, pour se construire et se lier aux autres. Par ailleurs, les pratiques culturelles sont de plus en plus cosmopolites : les horizons ne sont plus exclusivement français ou anglo-saxons, mais aussi asiatiques, européens, africains, latino-américains. Un éclectisme qui se retrouve dans le désir de partir à l’étranger pour « vivre une expérience » et qui apparaît dans plus de la moitié des motivations d’orientation en classe de terminale (Sylvie Octobre, 2018).

Elles veulent un travail intéressant et flexible, et sont capables d’apprendre en continu et en autonomie grâce aux évolutions digitales. Avoir un emploi qu’elles aiment arrive en deuxième position des choses les plus importantes pour ces générations, selon l’enquête « Être jeune en 2017 : quelles valeurs ? Quels modèles ? » (Sondage Ifop, 2018). Cette jeunesse idéalise la figure du chef d’entreprise, qui s’accomplit par ses propres moyens, créant un monde immédiat et tangible. Par ailleurs, cette jeunesse pratique une véritable éducation buissonnière à travers une culture éclectique, autonome, souvent autoréférencée et fonctionnant comme un code de reconnaissance. Ces générations sont en particulier friandes de « tutos » où des youtubers apprennent à se maquiller ou à bricoler leurs appareils numériques. C’est une culture de « maker » associée à un accès illimité d’information en ligne, qui leur permet de se former et d’apprendre de manière autonome.

Pour toutes ces raisons, ces générations ont la réputation d’être plus difficilement employables, parce que plus exigeantes à l’égard de leurs conditions de travail, et plus mobiles du point de vue de leurs parcours professionnels (*Le Monde*, février 2018). Ces salariés sont ainsi jugés difficiles à recruter et à fidéliser pour 53% des dirigeants d’entreprises, alors qu’ils devraient composer plus de 76% de la main-d'œuvre en 2025 (French Web, 2016).

L’homogénéité supposée de cette nouvelle génération digitale est néanmoins à nuancer. La différence de générations ne peut en effet pas être un déterminant des comportements plus décisif que, entre autres, les appartenances aux classes sociales, aux cultures et aux territoires. À propos de la relation des Y avec le travail, la sociologue Nathalie Moncel, du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), fait notamment remarquer la grande diversité de situations des jeunes face à l’emploi : travaillant sur les débutants sur le marché du travail, elle distingue ainsi une « jeunesse qui galère et dont on parle », « une jeunesse laborieuse et silencieuse » et cette génération Y, « cette nouvelle jeunesse » de diplômés des écoles de commerce et d’ingénieurs qui ne représente que 6% des jeunes (Céreq, 2011).

C'est un phénomène important car... les technologies participent à l’émergence de nouveaux modes de consommation de l’immobilier
Déménagement, bi-résidences et nomadisme : vers plus de mobilité et de flexibilité

Du point de vue de leur travail et, en conséquence, de leur lieu de résidence, ces nouvelles générations développent de nouvelles exigences.

Plus nomades, ces travailleurs sont amenés à déménager plus souvent ou à vivre dans deux villes à la fois (pratiques de multi-résidences).

Quand, autrefois, l’installation dans un logement se faisait pour une vie entière, nous sommes aujourd’hui invités à cultiver une grande flexibilité et mobilité pour pouvoir répondre aux exigences du marché du travail et/ou saisir les opportunités là où elles se trouvent. D’après une étude de l’Observatoire des Trajectoires Professionnelles, près de 26 % des salariés ont vécu un changement d’emploi au cours des 12 derniers mois. Et les actifs qui se lancent sur le marché du travail aujourd’hui changeront d’emploi en moyenne 13 à 15 fois d’emploi au cours de leur vie, selon Pôle Emploi. Pourtant, leur prêt immobilier est très rarement dimensionné pour trois, quatre ou cinq déménagements.

La baisse des coûts du transport aérien et les facilités offertes par la voiture et les transports en commun permettent à ces générations de se déplacer plus facilement. Les programmes Erasmus ont, en particulier, facilité les études et échanges avec l’étranger.

En conséquence, nous changeons de logement plus souvent que nos parents, voire habitons dans plusieurs endroits simultanément - c’est le cas de 30% des ménages non familiaux parisiens. Cela contribue à accentuer la pénurie de logement.

De la propriété à l’âge de l’accès

Les attentes des nouvelles générations modifient ainsi les exigences en termes de biens de consommation et de logement.

Ces nouvelles générations sont réputées plus rétives à l’idée d’acheter leurs biens de consommation. À la propriété, elles préfèrent des offres qui leur « donnent accès ».

C’est le cas pour la consommation de musique (Deezer et Spotify), de leur voiture (Drivy, Getaround et Uber) et de leur résidence principale. En France et au Royaume-Uni, on commence déjà à observer une chute dans l'accès à la propriété, et ce, depuis le début des années 2000. Les jeunes générations, qui achètent de moins en moins, ont donc tendance à préférer louer. Ce qui vient renforcer la demande locative. Ce constat peut néanmoins être nuancé en France.

Le taux de propriétaires chez les jeunes ménages modestes – les ménages appartenant au 1er quartile de niveau de vie, c’est-à-dire les 25 % plus pauvres, a décru, passant de 34 % en 1973 à 16 % en 2013. Au contraire, il a augmenté pour les jeunes ménages aisés – ceux du dernier quartile de niveau de vie, passant de 43 % à 66 %. (Ined, 2018).

La pertinence du concept de « génération rent » pour décrire les pratiques de consommation d’une partie des jeunes ménages, ne doit pas conduire à occulter le fait que les ménages jeunes les plus aisés accèdent plus facilement qu’avant à la propriété.

Quelle influence sur l’immobilier ?

Ces générations arrivent à l’âge adulte après une longue période de croissance économique qu’ont connue les baby boomers (personnes nées après la guerre) et la génération X (personnes nées entre la fin des années 60 et 70). Si elles rencontrent moins de difficultés à trouver des emplois stables, elles sont en général - quand elles occupent un poste salarié - moins bien rémunérées, et se tournent de plus en plus souvent vers le statut de travailleur indépendant ou d’entrepreneur. Pourtant, elles assument un coût de la vie plus important que leurs parents.

L’espace urbain s’adapte à la consommation « as-a-service »

À la faveur de la démocratisation du smartphone et des nouveaux comportements de consommation, l’espace urbain se transforme. De plus en plus, les habitants de la ville consomment l’espace comme un service (consommation « as-a-service ») c’est-à-dire qu’ils favorisent l’abonnement à l’achat, l’accès à la propriété. C’est notamment ce qui se passe pour les secteurs de la mobilité (Drivy/Getaround et Uber) mais aussi du bureau (avec le développement des espaces de coworking).

La « productivity-as-a-service » guide l’aménagement du bureau

Dans le bureau, ce ne sont pas les lieux qui se sont transformés en service (« space-as-a-service »). Le phénomène est allé encore plus loin puisqu’on parle désormais de « productivity-as-a-service ». C’est-à-dire que les espaces ne se contentent pas d’accueillir les collaborateurs, ils doivent aussi stimuler la créativité et la collaboration au sein des équipes.

En définitive, l’espace physique devient un outil au même titre que les plateformes digitales : il sert à gagner en productivité au travail, à s’amuser dans le retail et à se trouver un foyer confortable.